Accueil>Construire ses cours> Bâtir son activité pédagogique>L’erreur: formes, origine et perception >Pourquoi les élèves font-ils des erreurs ? Entre travail et biais

– Avant toute chose, une part de modestie s’impose : nous ne savons pas tout ce qui amène l’être humain à se tromper, et les interactions entre les facteurs identifiés sont légion. Partant de là notre efficacité en tant qu’enseignants est par nature incomplète.

Il n’en demeure pas moins que la connaissance des origines des erreurs est nécessaire car utile.

La première cause d’erreurs, celle qui attire le plus de commentaires des enseignants, est l’acquisition initiale insuffisante des connaissances ou des méthodes. Combien de commentaires « travail insuffisant » dans les copies et les bulletins ? Mais nous le savons la question est « pourquoi ? ». Pourquoi un élève n’a-t-il pas effectué le travail que nous avions indiqué ? Impossibilité dirimante, souci personnel, manque de motivation, simple oubli comme les élèves savent nous le dire (et si c’était vrai ?)…  Anticiper s’éduque et nécessite des outils. [1]

– Mais quand bien même l’exercice aurait été préparé, la maîtrise peut être insuffisante et cela génère des erreurs. La maîtrise d’une compétence ou d’un savoir suppose que des réseaux neuronaux se sont créés, et qu’avec la fréquence de leur utilisation ils se sont renforcés. Donc la répétition de l’exercice, l’emploi effectif de connaissances, si possible sous des formes et des apparences variées, permet une acquisition plus solide. Il faut parfois des années pour qu’un savoir devienne une évidence.

Mais il arrive que l’esprit résiste à nos efforts et surtout à ceux des élèves. Laissons de côté la question de l’immaturité de l’élève, il serait trop jeune par rapport à l’exercice que l’on propose, si l’on s’appuie sur les stades de développement du cerveau et de ses capacités (vers plus d’autonomie et d’abstraction). Laissons aussi les difficultés d’apprentissage liés à des circonstances particulières dans la vie de l’élève (la différence garçon/fille dans l’entrée en puberté est abordée dans la partie consacrée au Genre, les spécificités de l’adolescence sont abordées dans la partie du site dédiée à l’autonomie). On parle alors en cas de problème inattendu de troubles de l’apprentissage, c’est la triste famille des « dys », détaillés dans une autre page de ce site. Identifier ce blocage permet de ne pas se tromper de discours envers l’élève, l’appel au travail se faisant plus encourageant que critique.

– A ce stade, il nous arrive de valider l’acquisition d’une compétence chez un élève. Et à l’évolution suivante, O fortuna, tout semble à refaire. Vraiment ?

Combien d’élèves nous disent avoir été « inattentifs » ? Des fautes « d’étourderie » ? Que s’est-il passé ? Les neurosciences nous enseignent que l’activité intellectuelle consomme beaucoup d’énergie, et que nous cherchons à limiter cette consommation.

Une cause majeure d’erreur est donc une surcharge cognitive. Exercice trop difficile, ou plus fréquemment exercice dans lequel la tâche support absorbe trop d’énergie et éloigne de l’apprentissage effectivement visé. Si vous avez un jour vu une classe de collège devoir souligner à la règle un passage ou couper une feuille, vous savez que ce genre de consigne est à proscrire, sauf à déconcentrer la moitié de la classe… Mais c’est valable aussi lorsque la recherche ou la méthode l’emportent sur le savoir ou la part nouvelle dans la procédure.

La première manière dont s’y prend le cerveau en cas de surcharge et de baisser notre niveau d’attention. Les neurones qui commandent les autres neurones plus spécialisés, le « système 3 » qui déclenche l’inhibition des réflexes afin de laisser la place à la réflexion (voir la page consacrée au raisonnement et à la charge cognitive),  sont ceux qui se fatiguent le plus vite. 

Ils laissent alors la place à des « biais », c’est-à-dire des modes automatiques destinés à accélérer la résolution de problèmes en économisant l’effort (biais cognitifs). Ils sont très nombreux (environ 100 !), comme le montre le schéma ci-dessous [2], et s’ajoutent aux biais émotionnels, mieux connus et qui ne seront pas traités ici.

La place de ces biais est désormais bien établie, notamment suite aux travaux et communications d’Olivier Houdé. [3]

Nous n’en préciserons que certains, particulièrement parlants dans le cadre scolaire.

Pour reprendre la structure évoquée ci-dessus, certains biais relèvent du « système 1 », qui règle les automatismes, ce que d’aucuns appellent l’intuition. L’individu, ici l’élève, est exposé à l’heuristique de disponibilité : on croit plus probable ce qui nous vient spontanément à l’esprit. Exemple, on croit qu’on a plus de chance de gagner au loto que d’être touché par un astéroïde ou de mourir entre les dents d’un requin plutôt que lors d’un selfie… [4]  Et pourtant c’est l’inverse qui est vrai. Nous surestimons donc les probabilités faibles et spectaculaires, et sommes peu sensibles aux probabilités fortes, mais peu spectaculaires. Nous sommes aussi exposés à l’heuristique d’ancrage : face à une question, nous répondons en utilisant une valeur chiffrée présente dans notre environnement immédiat, même si elle n’a aucun rapport avec la question ! Nous confondons corrélation et causalité.

D’autres biais nous viennent de notre « système 2 », celui qui gère notre pensée logique. Afin de limiter ses efforts, il emploie des biais tels que le biais de confirmation. On oriente sa quête d’éléments et sa réflexion dans le sens des connexions neuronales déjà implantées, dans le sens des idées que l’on a déjà. D’où l’effet de gel : une fois que l’on a posé une affirmation, une opinion, il est rare que l’on en change. Nous sommes aussi exposés à la théorie des perspectives : on évalue une situation en fonction du contexte. Ainsi suite à un gain on est plus enclin à dépenser… Enfin l’on est soumis à l’illusion de contrôle ou de planning : on croit avoir le temps, contrôler la situation, alors qu’il n’en est rien.

On pourrait ajouter d’autres pistes, mais on voit bien comment tout cela s’applique dans un cadre scolaire. Or moins un élève a structuré sa pensée de manière complexe, moins il a habitué son esprit à une pensée intense sous contrôle, plus il est exposé à ces biais ! Et l’on voit les élèves les plus aisé(e)s sortir d’un devoir en doutant, tandis que les plus fragiles affichent la certitude en leur réussite…

Ajoutons le fait que les élèves souffrant de troubles de l’apprentissage se fatiguent plus vite que les autres, car ils doivent déployer d’intenses efforts pour réaliser les exercices . Ce qui précède arrive donc plus vite pour eux. 

La lutte contre ces biais est un domaine encore peu exploré en pédagogie, mais fortement développé dans d’autres registres de la pensée. [5]

– « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » dit le dicton. Il arrive en effet que toutes les vérités ne soient pas partagées.

De par le caractère commun à un groupe de ces choix, on peut parler de « biais culturels ».

Que retient-on alors, en tant qu’enseignant ?

Le français et les langues sont particulièrement concernés. L’enseignement de la langue nationale, après qu’une écriture unique se soit imposée, s’est heurté aux patois (qui diffèrent des langues régionales). Et aujourd’hui les réformes de l’orthographe induisent aussi diverses formes d’écritures. Quant à l’espagnol, de l’anglais, quel canon retient-on ?

Dans les sciences humaines, il est certes convenu que Louis XIV est mort le 1er septembre 1715. Mais qu’appelle-t-on PIB ? PIB en dollars courants, en dollars constants, en parité de pouvoir d’achat… ? Partant, un chiffre dans une copie est-il correct, au vu des écarts considérables entre ces trois valeurs ?

Et que dire des interprétations qui ne sont pas partagées de tous ? Les Espagnols ont-ils écrasé les Indiens d’Amérique, ou ont-ils été dans certains cas dominés et utilisés par ceux-ci ? L’Union européenne a-t-elle tenté de sauver l’économie grecque après 2008 ou a-t-elle imposé une austérité punitive ? Quand il ne s’agit pas de discuter de la place de la Shoah par rapport aux autres crimes de masse ou autres persécutions de peuples… Les débats sont légion, qui, pour peu que l’élève ne prenne pas le temps d’expliciter son propos, peuvent amener l’enseignant à voir des « erreurs ».

Certes l’univers du sport ou des sciences peut sembler davantage à l’abri. Nous ne sommes pas en situation de totalitarisme remettant en cause certains postulats scientifiques. Mais le renouveau des questions de genre et du vivant peuvent, même en faisant la part du savoir et des mythes, faire l’objet de débats car le savoir avance sans pour autant tout encore saisir.

La présence dans nos classes d’élèves aux origines parfois lointaines peut renouveler les domaines de certitudes non partagées et renouveler les « questions chaudes ».

Quelles erreurs font les élèves ?

L’erreur vue par les enseignants: biais et statut de l’erreur


[1] Pour les ressorts de la motivation des élèves, on peut voir les pages de ce site qui lui sont consacrées.

[2] Document issu de l’article Wikipedia sur les biais cognitifs; l’encyclopédie en ligne est un très bon outil pour aborder ces questions en première intention.

[3] On peut citer par exemple, sur le net, son interview dans le Café pédagogique, ou sa conférence filmée à l’invitation de la Cardie de l’académie de Paris.

 [4] En six ans, au moins 259 personnes sont décédées en prenant un selfie dans le monde, tandis que 50 personnes ont été tuées par des requins.( http://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-selfie-est-cinq-fois-plus-mortel-que-les-attaques-de-requins-20190628 )

[5] En témoigne l‘article « Atténuation des biais cognitifs » de Wikipedia.

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