Accueil>Construire ses cours> Bâtir son activité pédagogique>L’erreur: formes, origine et perception >L’erreur vue par les enseignants: biais et statut de l’erreur

Puisque ce qui importe est l’objet, certes, mais tout autant le regard que l’on porte dessus, dans le cas de l’erreur le regard que portent les enseignants est déterminant dans le sens que l’on va attribuer à celle-ci.

Le premier constat, est que l’erreur de l’élève est une blessure narcissique pour l’enseignant. Qu’il soit imbu de son autorité, qu’il soit convaincu de l’éducabilité universelle, qu’il soit impliqué ou passif, l’erreur de l’élève peut être lue comme l’échec de l’appareil pédagogique qu’il a déployé. L’exercice a été trop complexe, ou la tâche support a absorbé une trop forte part de capacités cognitives, n’en laissant plus assez pour l’acquisition des savoirs ciblés. Ou encore la tâche était soutenue par trop peu de motivation ou d’attention [1].

La réaction rationnelle est l’analyse des erreurs, et dans un retour d’expérience l’amélioration l’année suivante de son dispositif. Alors il est impossible de tenir les élèves du moment pour responsables de leur échec. Et tout le système de notation ou d’évaluation vole en éclat…

Mais l’enseignant n’est que pour une part responsable de l’erreur. L’élève y a sa part active. Gare à ne pas surcharger la responsabilité de l’élève en un mouvement destiné à évacuer la culpabilité enseignante.

Or les enseignants ne sont pas à l’abri des biais évoqués pour les élèves, tels que le biais de confirmation ou la théorie des perspectives. Que l’on songe déjà à tout ce que cela implique dans nos appréciations quotidiennes… Mais il est un biais qui nous touche plus particulièrement : la « malédiction de la connaissance » [2]. Une personne ayant des connaissances ne se rappelle pas comment elle était avant d’avoir acquis cette connaissance, et donc dans sa manière de préparer un chemin pour communiquer cette connaissance s’appuie sur des évidences, des pré-requis, qui ne sont bien souvent pas là chez l’apprenant. Cela peut mettre en échec sa stratégie d’apprentissage, ou, pire encore, créer chez l’apprenant un sentiment d’infériorité, d’incapacité. Comment résister aux effets dévastateurs d’un « Comme vous le savez… » si l’on ne fait pas partie du club ? [3]

Ainsi, pour aider un élève ayant des difficultés en mathématiques, il est souvent préférable de choisir un autre élève, plus âgé, mais pas excellent en mathématiques. Ensemble, laborieusement, ils vont chercher le chemin de résolution des exercices. Sans fausses évidences, et avec une mise en confiance.

Mais une fois évitées toutes ces ruses de l’esprit, en pleine conscience, nous devons choisir la place que nous accordons à l’erreur dans notre pédagogie. Les publications sont nombreuses sur le sujet, et vont toutes dans le même sens.

L’erreur est classiquement considérée comme un échec qui contribue à l’évaluation [4] de la place de l’élève dans une échelle qui va de celles et ceux qui ont parfaitement réussi à celles et ceux qui n’ont pas réussi. Ensuite on trace une ligne de partage entre le passage dans l’année supérieure ou le redoublement, ou pour l’obtention d’un examen.

Mais la quasi-disparition des redoublements (devenus « maintien »), la logique de cycle, ont mis à mal cet usage de l’erreur. Et pour cause . Depuis notre naissance, nous fonctionnons tous en nous appuyant sur nos erreurs pour apprendre et moduler nos actes. Et plus nous nous donnons le droit à l’erreur, plus nous essayons de voies originales, plus nous développons notre intelligence largement et rapidement. Sans droit à l’erreur, l’enfant cherche uniquement des voies conformes de peur de se tromper, et limite son développement.

Il est donc recommandé de considérer qu’un élève qui se trompe a proposé une réponse en totale sincérité, en la croyant bonne, et surtout en croyant que le chemin qu’il a emprunté pour y parvenir est celui qui lui semble rationnellement bon, dans une économie du rapport coût/efficacité.

Si nous estimons, au vu du résultat, que ce choix n’a pas été pertinent, il nous revient de travailler avec lui afin de lui montrer qu’un autre chemin lui aurait été, au final, plus bénéfique. Bien entendu, nous ne sommes pas dans une dimension individuelle mais personnelle, plusieurs élèves ont les mêmes choix au même moment, on peut apporter une réponse semi-collective.

C’est dans cette optique que l’évaluation formative est proposée.

Evidemment, le système conserve des moments de validation qui se traduisent concrètement pas une sélection. Et si on ne le fait pas dans les épreuves scolaires, l’admission sur dossiers dans les filières professionnelles (en sortie de 3e) ou en post-bac s’en chargent pour nous. Non, le système n’est pas hypocrite…

Et qu’il s’agisse des biais ou du statut de l’erreur, on comprend bien comment cela fait peser une pression considérable sur les épaules de l’enseignant. Exigence d’honnêteté intellectuelle, exigence d’attention et de travail auprès de chaque élève. Très concrètement, c’est ce que tout parent peut exiger pour ses enfants, mais c’est impossible au quotidien.

Cependant si nous conservons cela à l’esprit, à chaque fois que nous pouvons le mettre en œuvre, on avance avec nos élèves, et c’est déjà beaucoup.

Quelles erreurs font les élèves ?

Pourquoi les élèves font-ils des erreurs ? Entre travail et biais


[1] Précis d’ingénierie pédagogique, André Tricot et Manuel Musial, éd. De Boeck, 2020

[2] On peut lire avec intérêt l’article wikipedia qui lui est consacré, en première lecture. Ici comme pour les autres biais il est à noter que ce concept a surtout été développé dans le champ économique, et bien peu en pédagogie.

[3] Cela renvoie au concept d’impuissance apprise, développé dans cette page du site.

[4] Pour l’évaluation, en général, consulter la page consacrée aux enjeux (dont garçons/filles et compétences) ou celle dédiée à sa mise en oeuvre, dont le DNB ou le bac.

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