Accueil>Construire ses cours>Bâtir son activité pédagogique> Cours magistral, cours par exercices, pédagogies actives: enjeux
De manière générale, la forme d’activité pédagogique dans l’air du temps a glissé au fil des décennies passées.
/ cours magistral privilégiant les connaissances
/ cours reposant sur des exercices détaillés et progressifs, mêlant connaissances et méthodes
/ cours laissant plus d’autonomie aux élèves, le plus souvent en petits groupes (îlots) autour de questions larges ciblant les compétences
Depuis, avec la mise en avant de la nécessité d’une explicitation des contenus et des attentes, la forme magistrale de l’enseignement regagne du terrain.
Cette évolution ne fait pas oublier que les méthodes de pédagogie active ont été formalisées il y a un siècle, et que des écoles Freinet [1] existent en France depuis plus de 60 ans…
Pour en savoir plus sur la pédagogie Freinet
La pensée de Freinet a donné naissance à un vaste mouvement composé d’enseignants (souvent du primaire) engagés et de pédagogues passionnés. On peut lire par exemple:
Qu’est-ce que la Pédagogie Freinet ? de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM)
Ou pour approfondir: https://asso-amis-de-freinet.org/
Chaque modalité a ses avantages et ses inconvénients (voir « Cours magistral, cours par exercice, pédagogies actives: 3 formes de cours »). En fonction des matières, ces formes de travail sont plus ou moins imposées : Philosophie, Mathématiques et Technologie par exemple, n’ont pas les mêmes Instructions Officielles… Cela n’empêche pas la liberté de l’enseignant quant au choix ponctuel de la modalité la plus adaptée au besoin de ses élèves. Il en va aussi de l’efficacité collective : quelle serait l’effet d’une pédagogie qui ne comporterait que des travaux en îlots menés dans chaque matière, toute la journée, voire toute l’année… La performance de ces dispositifs tient en partie à leur caractère « transgressif », qui nécessite donc que d’autres formes co-existent !
Pourtant les méthodes actives restent fortement demandées, tout d’abord car elles semblent plus propices à la réussites d’élèves éloignées des codes de l’école. En effet, les comparaisons internationales ont montré que la France dégageait une plus petite élite et laissait de côté bien plus d’élèves en échec que les autres pays riches. Aux antipodes du mythe d’ascenseur républicain.
En parallèle les enseignants du supérieur, relayant les formes de travail à l’étranger et dans les grandes entreprises, privilégient de plus en plus les travaux en équipe avec une grande marge de liberté dans les cursus, du BTS aux grandes écoles d’ingénieurs. L’emploi des cours magistraux classiques se maintient encore pour diverses raisons en Droit, Médecine, Histoire, mais ils sont de plus en plus rares.
Il est donc demandé aux enseignants de laisser plus de place à des dispositifs faisant moins appel aux codes socio-culturels de la classe aisée (culture générale, élégance dans l’expression, etc), tels que la dissertation, au profit de structures plus ouvertes et plus motivantes en ce qu’elles montrent plus explicitement la finalité concrète du savoir dispensé.
On retrouve là par exemple le travail à partir d’études de cas.
On voit surtout ici l’approche par compétences.
Celles-ci définies pour le Collège dans le socle commun : aptitude à mobiliser des ressources (connaissances, capacité, attitude) pour accomplir une tâche ou faire face à une situation complexe ou inédite[2]. Ainsi une compétence peut s’appuyer à des niveaux divers sur ces trois composantes, et reposer principalement sur une capacité ou sur une connaissance. Il n’y a donc plus de débat entre les défenseurs des connaissances et ceux qui vantent les compétences (les débats restent nombreux par ailleurs, nous y reviendrons). La liste en est fournie dans le Socle commun de connaissances et au début des Instructions officielles de chaque matière.
Le travail par compétences nécessite une organisation qui peut ne concerner que l’enseignant, mais comme il se prête particulièrement à l’interdisciplinarité et peut mobiliser de nombreuses ressources, on n’en abordera ici que les dimensions les plus simples, les autres seront traitées au fil du site (voir notamment en page d’Accueil : les grandes compétences, ou l’évaluation par compétences) . A ce stade, l’important est de réaliser qu’une activité se centre autour de la construction d’une compétence. Cela est explicitement formulé auprès des élèves.
Il est également clair qu’après un temps où l’on a misé sur des compétences transdisciplinaires il apparaît que nous ne donnons pas tous le même sens aux mots en fonction des disciplines. L’interdisciplinarité et la complémentarité bénéficient donc de cette approche par compétences, mais il est impossible de substituer une matière par une autre, sauf à créer de fortes confusions chez les élèves obligés de jongler entre les subtilités d’une matière à une autre. Que l’on songe à la différence frontale d’analyse d’un texte entre Français (on analyse pleinement la forme et le fond) et l’Histoire-Géographie (la forme est, au mieux, un point alimentant la réflexion sur le fond).
Néanmoins, devant cette vague soutenue d’appel aux formes actives, il est frappant de constater que le cours magistral voué aux gémonies fait de la résistance.
N’abordons pas ici les courants nostalgiques d’une école du passé parée de toutes les vertus (…). Le cours magistral est le moins efficace des dispositifs pour fixer à court terme des connaissances sur le temps de la classe, et il privilégie les élèves déjà à l’aise avec les codes scolaires; ceux qui réussiront quel que soit le dispositif mis en place.
Pourtant cette critique, entendue, est à nuancer. D’une part, il y a cours magistral et cours magistral. Citons Meirieu:
« L’individu progresse seulement à partir du moment où se crée en lui un conflit de centrations entre son propre point de vue et celui d’autrui. Dans cette perspective, l’enseignement magistral impositif peut parfois être efficace, s’il parvient à instaurer le conflit dans l’élève entre ce qu’il concevait jusque là et ce qui lui est exposé. » [3]
Donc un cours bien mené, qui crée un conflit cognitif, fait penser l’élève, parfois davantage qu’un travail de recherche convenu.
C’est en s’appuyant sur cette dynamique que ce mode de communication d’un savoir est précisément le mode d’expression qui fait florès sur les chaînes internet de jeunes réalisateurs s’adressant à un public qui n’est autre que… nos élèves ! En toute liberté, et pour leur plaisir ou leur réussite, sur leur temps libre, certains regardent des cours magistraux 2.0 ! Pour qui en douterait, vous trouverez dans les ressources numériques de ce site une sélection de chaînes Youtube classées en fonction des matières.
Dans ce contexte, on aurait pu croire que le renouveau du cours magistral viendrait des MOOC (massive open online courses), cours filmés ou sous forme de textes, mis en ligne par les universités gratuitement ou contre inscription. Toutefois, depuis quelques années que ce dispositif est proposé, dans le monde anglo-saxon principalement, on constate qu’il connaît un taux d’abandon très supérieur à celui des cours en amphithéâtre, et qu’il intéresse principalement des étudiants déjà diplômés du supérieur. Peut-être est-il encore trop tôt pour statuer, notamment si ces cours sont employés dans le cadre d’une pédagogie inversée. Mais il apparaît que ces formes sont adaptées lorsque le public est fortement motivé soit par une curiosité soit par un niveau de connaissances déjà soutenu, et qu’il a donc une forte demande préalable. Le MOOC ne fait pas mieux que… le bon vieux livre !
Dans un autre registre, il est quelque peu paradoxal de déplorer la difficulté à pouvoir mener des débats et échanger des propos structurés ainsi que la fin du respect pour le savoir et les personnes qui en sont dépositaires, pour dans le même temps critiquer la prise de parole de l’enseignant-expert.
Car c’est oublier un peu vite que les pédagogies actives ne sont pas exemptes de défauts.
Dans le travail de groupe, les élèves sont-ils réellement libres ? Ou sont-ils soumis à des ruses pédagogiques dans lesquelles l’enseignant n’est autre qu’un deus ex machina, seul à savoir vers quelle conclusion pré-établie il va mener les élèves ? Le complot et la manipulation, nous, jamais !
De plus, ces éléments ont une résonance différente selon le profil des élèves que l’on souhaite favoriser.

Comme le montre le schéma ci-dessus, les formes les plus actives, envisagées pour aider les élèves en grande difficulté, s’avèrent très performantes pour les élèves les plus favorisés pour ce qui est du capital culturel. En revanche, elles ne sont pas les plus rassurantes pour des élèves médians qui espèrent réussir en s’appuyant sur l’acquisition de connaissances à l’école, ceux-là même que l’on qualifie de « scolaires » (comment cela a-t-il pu devenir un reproche ?) et qui apprennent leurs cours.
On comprend alors le sentiment de déclassement ressenti par les enfants des classes moyennes devant l’introduction de ces dispositifs, l’école se mettant au service des plus faibles (qui peuvent être aussi les moins dociles) sans permettre de rattraper les plus favorisés [4]… L’un des enjeux est le taux d’encadrement: avec de petits effectifs et des enseignants effectivement impliqués (et non repliés derrière leur bureau sur les temps de recherche), tous les élèves peuvent progresser. Avec 30 élèves, c’est plus discriminant.
Enfin, dans la mise en oeuvre effective des tâches, constamment le travail de groupe oscille entre deux écueils (Meirieu, Apprendre en groupe, op. cit., tome 1). D’une part la primauté de la production: l’enseignant attend un résultat atteignant un certain niveau de conformité (forme, qualité), et doit pousser certains groupes en les aidant plus que prévu. D’autre part, la primauté de la vie du groupe: le moment d’expérience collective peut être perçu comme une expérience à portée sociétale ( vivre ensemble, démocratie, égalité…). Mais alors les savoirs acquis passent au second plan.
Or dans les deux cas, il n’est pas certains que tous les membres d’un groupe aient également bénéficié du travail et progressé. Spécialisation fonctionnelle, dans le cas du primat de la production, isolement des moins intégrés dans le cas du primat donné au collectif.
Il importe donc d’être très attentif dans l’élaboration de dispositifs donnant à chacun l’occasion d’occuper une place active et valorisée.
[ Les tenants et aboutissants de l’autonomie et de la différenciation des élèves sont développés dans d’autres pages de ce site, cette partie vise avant tout à poser des bases simples pour une prise en main rapide de la classe. Idem pour la mise en oeuvre des trois formes présentées ici, abordée dans les pages dédiées aux Convergences et articulations, dont classe inversée]
[1]La pédagogie active s’appuie sur la curiosité naturelle de l’enfant ; il apprend par expérience. Freinet, et avant lui Montessori, privilégient donc la mise en place de situations problèmes, de travaux de groupes, bien loin du cours magistral qui prévalait alors.
[3] Philippe Meirieu, Apprendre en groupe, tome 2, Outils pour apprendre en groupe, éd. Chronique sociale, 2000 (7e éd.)
[4] Une étude des origines sociales des élèves qui ont eu 20 et de ceux qui ont eu entre 12 et 14 à feu le TPE aurait été riche d’enseignements. Les notes des épreuves issues d’un travail de groupe à notation individuelle méritent toute notre attention comme le rappelle Bourdieu, qui insiste pour qu’au sein de chaque groupe les rôles ne soient pas attribués de façon inégalitaire et fixe.
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