Accueil>L’enseignant, un professionnel de l’éducation nationale> La question des finalités de l’enseignement

La question de la motivation des élèves est omniprésente dans les publications et les formations, mais quid de celle… des enseignants ?

Pourtant les pages de ce site consacrées à la fatigue professionnelle et au burn out ont montré combien cette motivation était importante. L’enseignant du Secondaire choisit certes bien souvent ce métier par passion pour une matière. Mais ensuite on ne peut pas dire que l’attrait d’éventuelles primes ou promotions soit le moteur principal de son envie de s’investir dans son métier [1].

Le sens donné au métier est donc primordial.

Les débats sont considérables, il ne saurait être question ici de les aborder tous. Mais l’objet est tout d’abord de poser un premier jalon sur les éléments d’identité professionnelle des enseignants. [2]

L’enseignant se doit d’être un professionnel, un expert de la pédagogie. Un excellent technicien. Il mobilise des méthodes pédagogiques, il s’appuie sur des référentiels de compétences, il met en place des progressions, et travaille de plus en plus en équipe, d’où une nécessaire harmonisation. Des évaluations nationales, normées, valident ce travail.

Mais l’enseignant ne serait-il qu’un technicien ?

Une large part de ce site aborde ces dimensions, fondamentales, premières. Mais à la fois intenables et insuffisantes. Intenables, car la simple observation des différents axes de ce site montre combien il est impossible de mobiliser toutes les dimensions de l’acte enseignant à chaque heure, dans une classe réelle, dans la vie réelle. Il y a une « part du feu ». Et même lorsque des moyens considérables sont mobilisés, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous [3].

Et après l’épuisement devant ce tonneau des Danaïdes, vient le sentiment d’échec. De l’absence de sens.

On peut alors considérer que l’enseignant est au service de la société, de ses besoins, de ses choix. Ses modalités de travail sont définies par l’Etat, au gré des alternances politiques reflétant celles de l’opinion plus ou moins fidèlement. Mais l’école, au sens large, se doit-elle de s’adapter exclusivement à une société de la rapidité, de l’individu, du tout numérique ? Le développement de l’élève ne nécessite-t-il pas aussi une capacité à la lenteur, à l’entraide, à la déconnexion propice à son épanouissement réel ? L’école ne prépare-t-elle que des salariés/consommateurs ?

Poser ces questions, c’est y répondre. Au fil des pages du site, la citoyenneté comme but réel est à plusieurs reprises évoquée. L’école est là pour sécuriser les parcours de vie, pour illustrer l’idéal de solidarité, pour préparer au libre choix des responsables, pour créer une conscience collective [4].

« La République au village », cette promesse de la IIIe République, est toujours d’actualité. Si l’école ne tient pas les promesses de la République, les individus se détacheront de celle-ci. Mettre en cohérence les généreux discours et les actes crée une confiance féconde.

L’injonction de lutte contre les inégalités, au cœur de l’identité enseignante, nous est désormais rappelée avec force par les comparatifs internationaux, qui tous pointent l’insuffisance de notre système, à peine capable de dégager une petite élite, au prix de l’échec d’une fraction trop large de la jeunesse. Et le complotisme, le populisme, qui se traduisent désormais en votes « anti-système » (Brexit, Trump…), ne sont-ils pas le reflet d’un rejet des élites diplômées détentrices du savoir, par une frange de la population n’espérant plus accéder à cette connaissance par l’école et se créant un monde parallèle ?

(pour approfondir cette réflexion, cliquez ici)

Le débat serait long de savoir ce qui, dans la société, contribue à un tel résultat ; mais il est certain que notre système scolaire a sa part de responsabilité, et en celui-ci nos pratiques pédagogiques. Nous sommes, chacun à notre poste, en recherche de pistes pratiques à mettre en œuvre pour relever ce défi.

C’est complexe, c’est un combat de tous les jours. Mais quoi ? Tout cela ne sert à rien ? L’humanité serait-elle condamnée à demeurer dans ses inégalités et son accès inachevé à la culture ?

D’autant que pendant ce temps, si l’on dépasse ce cadre strictement enseignant, chaque génération a été porteuse d’aspirations, de regards sur sa place au monde, qui ont évolué. Sans remonter aux hussards noirs, notre système a vu partir en retraite les combattants des années 60-80, remplacés au basculement du XXIe siècle par une génération désabusée et pragmatique[5], mais on commence à peine à comprendre ce que les nouveaux enseignants ont dans leurs motivations avec toute leur génération [6]. Mais il est certain que, dans les grands mouvements de balanciers idéologiques, les combats d’hiers ne verront pas la victoire de l’un ou de l’autre mais une nouvelle forme incorporant leurs apports démystifiés à l’épreuve des faits, et incorporés à de nouvelles lumières.

Donc puisqu’il nous faut conclure, que ce soit sur un optimisme désabusé, sans illusion sur nos faiblesses et nos apories, mais un optimisme tout de même, un optimisme résolu et combatif [7]. Car il reste des élèves à aider, et nous ne savons que trop ce que signifierait un relâchement de nos efforts, et qui en profiterait.

C’est un bien beau métier que le nôtre, et c’est un honneur que de l’exercer auprès de jeunes qui, génération après génération, attendent de nous que nous leur apportions notre expertise et notre engagement, et qui en retour nous offrent leur enthousiasme et le spectacle de la France de demain.

(Pour prolonger ce propos, une analyse de trois ouvrages pédagogiques publiés au début de l’année 2020 sur la complexité du métier d’enseignant)


[1] Depuis longtemps il a été démontré que le salaire n’était pas le moteur principal de la motivation pour les salariés, d’ailleurs ; la reconnaissance symbolique et le sentiment d’utilité sont bien plus puissants. C’est on s’en doute un champ très vaste et très étudié.

[2] Pour les bases du débat, il existe une synthèse sur https://sociophilo.jimdo.com/2015/06/27/les-finalit%C3%A9s-de-l-enseignement-instruire-eduquer-former/. Par ailleurs, le numéro 457 de la revue Esprit (septembre 2019) aborde « Le sens de l’école », avec des contributions très éclectiques. Preuve s’il en est de l’actualité du sujet.

[3] Le Programme de réussite éducative, lancé en 2005, visait, au travers de ses déclinaisons locales, à fournir une aide auprès de 100 000 élèves en grande difficulté, âgés de 2 à 16 ans en mettant en œuvre une approche globale, allant du soutien scolaire au suivi médico-social.

Un rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) de mars 2016 a dressé un bilan de ces dispositifs. Et c’est celui d’un échec. On n’a pas relevé de progrès observables, notamment en raison d’un effet de stigmatisation ressenti par les bénéficiaires.

Cette étude en confirme d’autres, comparables, aux Etats-Unis

[4] Pour ne prendre qu’un exemple, on trouve un plaidoyer pour le primat des valeurs, comme préalable à la technicité pédagogique, dans le livre (très engagé politiquement) de Dominique Bucheton, « Les gestes professionnels dans la classe », ESF, 2019

[5] Agnès van Zanten et Patrick Rayou, Enquête sur les nouveaux enseignants : Changeront-ils l’école ?,  Bayard, 2004

Pierre Périer, Professeurs débutants, PUF, 2014

[6] Quête de sens, immédiateté, mobilité accrue… Le rapport des jeunes au travail, une révolution silencieuse, Anne Rodier et Jules Thomas, Le Monde, 23 janvier 2022

[7] Et pour entretenir la flamme, il y a le numéro des Cahiers pédagogiques: Pédagogies, des utopies à la réalité

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