Accueil > Les grandes compétences : Transférer
« Le transfert est sûrement le phénomène le plus important et le plus mal connu des processus d’apprentissage. » Ainsi débute l’article consacré au transfert dans « Pédagogie, Dictionnaire des concepts clés » de Raynal et Rieunier (ESF, 2014)… Et si l’on étudie le raisonnement des élèves, effectivement, on se situe dans la partie la plus avancée du raisonnement, juste avant la création.
Certes, une première approche du transfert peut sembler aisée, et Annie Presseau [1] le définit comme un « processus par lequel des connaissances construites dans un contexte particulier sont reprises dans un nouveau contexte. »
Cependant il n’est pas indifférent que cette professeure enseigne à l’université du Québec. C’est en effet dans la Belle Province que le débat autour du transfert a été le plus vif, autour de la grande réforme qui a commencé à entrer en vigueur en 2000 avec l’introduction des compétences et de la pédagogie de projet.
L’un des principaux points de débat fut la distinction entre un transfert horizontal, permettant d’appliquer un savoir à un domaine connexe (voir schéma ci-dessous), et un transfert vertical, permettant d’appliquer un savoir comme brique constitutive d’un savoir plus complexe. [2]

Nous commencerons, comme pour les autres compétences, par approfondir les enjeux du transfert d’apprentissage, puis nous aborderons sa mise en œuvre.
a) Enjeux
- Une opération complexe
- Une opération omniprésente
- Une opération aux lourdes conséquences
b) On fait comment ?
- Le transfert s’anticipe
- Le transfert s’accompagne
a) Enjeux
- Une opération complexe
On a vu ci-dessus ce qu’était le transfert. Approfondissons cette définition avec ce qu’il n’est pas.
Eloignons tout de suite la transposition didactique, qui a un sens plus large d’intégration des connaissances exigées par le programme dans un dispositif pédagogique.
Le transfert, dans l’enseignement, n’a pas le même sens que dans le monde de l’entreprise, où le transfert de compétences désigne la passation d’une expérience entre deux salariés, dont l’un dispose d’un savoir-faire qu’il va communiquer à un autre collègue.

Le transfert ne se limite pas non plus à une comparaison, dans laquelle deux éléments différents seraient mis côte à côte. Cette opération, sommaire, peut convenir sur des situations simples, mais rapidement elle trouve ses limites.

On retrouve ce mécanisme dans le raisonnement par analogie. Cette opération est riche à court terme, car elle permet des sauts, des gains rapides, mais ensuite enferme la réflexion.
En fait, le transfert nécessite une série d’étapes complexes. La première consiste, comme on le voit ci-dessous pour le transfert horizontal, à poser plusieurs occurrences d’un même savoir, afin de procéder à une comparaison ouvrant sur une généralisation.

Cette phase inductive ouvre la possibilité au transfert, qui va voir l’application du savoir acquis à une situation dont le contexte est différent, ce qui va ouvrir soit à une généralisation modifiée, soit à une comparaison cette fois-ci efficiente.
- Une opération omniprésente
C’est peu dire que le transfert est partout…

- Une opération aux lourdes conséquences
Si le transfert est omniprésent, on constate que la structure scolaire oscille en permanence , du vertical à l’horizontal. Ne serait-ce qu’avec le découpage entre années et matières avec des programmes définis, mais aussi entre des enseignants différents.
Les tensions entre enseignants qui en découlent sont nombreuses. Qui n’a entendu que les briques de compétences qui devaient être acquises des années antérieures ont été mal établies, et on ne peut faire « son » programme ? Certaines matières, plus que d’autres, ont un besoin absolu de cette montée en verticalité : Mathématiques, Langues, Musique notamment.
Qui n’a entendu que les élèves sont incapables de n’avoir qu’une vision étroite, déconnectée, de leurs savoirs, ce qui isole les savoirs et les rend inapplicables ? Et là ce sont les Sciences, les Lettres, l’Histoire-Géographie, les Arts qui protestent le plus.
Mais qui s’étonne de voir que, le chapitre terminé, une proportion significative des élèves n’a pas acquis les compétences qu’on vient de leur enseigner. Et qui vérifie en fin d’année que tout ce qui a été abordé est bel et bien resté en mémoire ?
Donc pas de transfert sans une réelle acquisition initiale, entretenue et consolidée par la suite. ( pour voir les enjeux de la mémorisation, cliquer ici)
D’où la question de savoir comment articuler transfert vertical et transfert horizontal au cours de la scolarité. Si l’acquisition de savoirs du plus simple au plus complexe s’entend facilement du Primaire au Collège (apprendre les lettre, puis la lecture, puis la compréhension et enfin le style et l’analyse ; apprendre les chiffres et le calcul, puis les opérations complexes), la verticalité conserve tout au long du cursus une nécessité forte.
Mais cela ne suffit pas à reléguer les opérations de transfert horizontal aux âges les plus élevés ! Simplement leur part peut aller crescendo, à mesure que s’approche le supérieur de plus en plus tourné vers les formes actives.
Ces tensions peuvent aussi s’immiscer entre les élèves. Celles et ceux qui auront développé une expertise sur une tâche seront plus rapides sur les opérations simples, et pourront consacrer davantage d’énergie cognitive aux opérations plus complexes, plus rémunératrices dans la sphère scolaire. Ils identifieront alors les structures profondes plus rapidement, lorsque les autres élèves seront encore obnubilés par les détails de surface.
Cela va loin, car l’élève expert identifiera en lui les origines de sa réussite, et développera confiance et autonomie. Tandis que l’élève encore tâtonnant attribuera davantage ses réussites à la qualité du cours ou au caractère sympathique de l’enseignant.
On voit là la dernière source de tension, le rapport à la société. Si le transfert est une réponse à la diversité des Hommes, de leurs formes d’expressions et de leurs productions, l’école joue un rôle de par l’équilibre quelle instaure dans ses programmes et sa structure. Vise-t-elle une génération d’experts, efficaces dans un domaine, ou bien veut-elle offrir des ponts, une culture large, gages d’échanges et de respect mutuel ?
Dans le tableau ci-dessus, l’expertise se voit soutenue par les acteurs extérieurs à l’école, bien plus activement que l’ouverture. Les moyens consacrés à la consolidation ou l’approfondissement des acquis au travers des cours particuliers et autres outils de soutien aux élèves représentent un effort parallèle considérable des familles.
b) On fait comment ?
- Le transfert s’anticipe
Le transfert, de par sa complexité, impose l’anticipation pour avoir une chance de porter des fruits. Et c’est bien pour cela qu’il est une compétence finale, de synthèse.
Il nécessite une programmation annuelle si l’on veut poser des briques de compétences sur des techniques complexes, afin qu’elles puissent être envisagées successivement, mais aussi révisées au sein de l’année. (vous pouvez vous référer à la partie de ce site consacrée à la programmation)
Il nécessite une programmation au sein de la séquence, si l’on veut exploiter une étude de cas après avoir généralisé, ou comme dans les programmes de Lycée exploiter un Objet de travail conclusif : il aura fallu dégager les aspects généraux et donc transposables des premières parties du chapitre, ce qui ne s’improvise pas.
D’ailleurs, ces tâches peuvent remplir diverses fonctions au sein de la séquence, notamment :
– aide à la fixation et à la mémorisation des savoirs les plus importants, au travers de leur mise en vibration face à un contexte nouveau
– évaluation
Enfin, à l’échelle de l’exercice, la différence entre les deux formes de transfert entraîne des différences dans la manière de mener l’activité.
Ce qui favorise le plus le transfert vertical est la multiplication d’opérations attachées au même contexte, pour favoriser la connexion de neurones sur une opération clairement identifiée, qui gagnera en rapidité et deviendra un automatisme. Son intégration à une opération intégrée en sera facilitée.
En revanche le transfert horizontal est favorisé par des activités aussi variées que possible… Et la généralisation peut prendre des formes diverses : établissement de critères, rédaction d’une charte, organigramme…
Les deux finalités s’opposent donc, car l’automatisme bloque face à un contexte différent, tandis que l’ouverture, de par sa trop faible répétitivité, ne permet pas d’amorcer un ancrage fort.
- Le transfert s’accompagne
Cet aspect sera plus rapide à développer, mais les différents auteurs s’accordent à dire combien il est important. Et il s’applique uniment aux deux transferts.
L’idée est qu’un transfert est d’autant plus efficace qu’il est verbalisé.
Tout d’abord dire en quoi on s’appuie sur des éléments du chapitre ou du programme précédent, dire quels ponts peuvent être tissés avec d’autres matières ou avec l’actualité. La démarche pour nous implicite dans la construction d’une séquence gagne donc à être partagée ouvertement avec nos élèves.
L’explicitation passe ensuite par l’échange autour de l’opération intellectuelle qui a lieu.
Il en va ainsi de la généralisation, présentée par Ghislain Samson (lui aussi Québécois !). [3]
Il propose de procéder par :
– le modelage, lors duquel l’enseignant explicite sa démarche
– la pratique guidée, lors de laquelle l’élève explicite sa démarche devant l’enseignant
– la pratique coopérative, lors de la quelle l’élève explicite sa démarche devant des pairs
– la pratique autonome
Enfin l’explicitation comprend aussi la valorisation du transfert effectué. Que l’élève qui a réussi à écrire sans faute d’orthographe ou de calcul ne l’envisage pas comme sans valeur, mais comme la mobilisation d’une expertise antérieure qui l’aide à affronter les défis nouveaux qui s’annoncent. Ne l’oublions pas lors de la correction de nos évaluations ou de nos échanges au retour des copies.
Et que chaque compétence nouvellement acquise ouvre sur de nouvelles à venir, l’année suivante ou dans le supérieur.
[2] Pour approfondir cette discussion , deux articles de référence sont disponibles, un écrit par Jacques Tardif et Philippe Meirieu et un second par François Gagné, Normand Péladeau et Jacques Forget. Sur ce thème comme sur beaucoup d’autres, l’excellent site de Jacques Fraschini (Gestes professionnels.com ) propose notamment des citations de référence.