Accueil>Enseignement et Transition écologique>Enjeux: Nature, Développement durable ou Transition écologique: la bataille des mots
Les mots ont changé, et avec eux le sens donné à l’action en faveur de l’environnement. Lesquels employer aujourd’hui sans prendre parti ?
Le temps des défenseurs de la Nature et de l’Environnement
Les années 1950-80 ont vu se multiplier les initiatives de défense de la nature, atour d’associations défendant des variétés animales (ex : actions contre la chasse, contre la pêche des baleines…) ou certains espaces emblématiques (ex : le plateau du Larzac).
La coalition de ces mouvements a débouché sur des partis écologistes (« verts »).
Le temps du Développement durable contre la décroissance
L’écologie a basculé dans une approche plus globale de la société et une critique du développement économique.
Allions-nous vers un épuisement des ressources terrestres ? On se mit à parler de « pics » de production.
Pic: un concept-clef pour notre temps
Allions-nous vers des atteintes à la santé humaine ? On vit de plus en plus une contestation contre l’énergie nucléaire, dont la naissance s’était accompagnée de pratiques dangereuses, puis la mise en accusation des nouvelles techniques agricoles (désherbants, OGM…).
Ces contestations très polémiques, discutées, maintenaient le discours écologiste dans une petite partie de la population. D’autant que pour avoir moins d’objets, moins de productivisme, il fallait moins d’hommes. D’où l’idée de décroissance avancée par certains.
Mais dans la même temps les gouvernements du monde entier cherchèrent à réconcilier l’idée de progrès, chère aux humanistes depuis les XVIe-XVIIIe, et l’idée de nature.
Certes le progrès touchait de plus en plus des pays autrefois souffrant d’une misère violente. L’espérance de vie progressait partout (+ 20 ans dans le monde en 60 ans !), et avec elle la richesse par habitant, l’alphabétisation des garçons et des filles…
Mais il fallait corriger les effets négatifs sur la nature de ce progrès, car les gains d’aujourd’hui menaçaient les gains des générations à venir.
Ainsi naquit l’idée de Développement durable, dont la « fleur » montre le nécessaire équilibre entre nature, économie, justice sociale (et cultures). La démocratie est l’outil indispensable pour trouver l’équilibre entre des besoins bien souvent contradictoires [1].

Une fois établi que la planète disposait d’assez de matières premières et de capacités agricoles pour répondre aux besoins sans cesse croissants, loin des fausses évidences, le débat se plaça sur l’impact de cette croissance sur les grands équilibres et écosystèmes [2]. Et les vraies urgences apparurent rapidement, avec notamment :
* la chute de la biodiversité : elle était largement entamée depuis des millénaires, avec la domestication, l’éradication des prédateurs et les défrichements, mais on en prenait désormais conscience, l’efficacité industrielle atteignait radicalement les formes de vie sauvage jusque là préservées dans les pays riches et les derniers refuges dans les pays pauvres reculaient avec leur développement.
* le réchauffement climatique : les effets d’un siècle d’industrialisation et d’émission de co² commençaient à se faire sentir indéniablement.
On négocia pour concilier croissance économique et préservation des grands équilibres.
A l’échelle nationale et européenne, des avancées considérables furent aussi enregistrées: création de parcs naturels, protection des littoraux, réintroduction de prédateurs, obsession pour les économies d’énergie, double coque pour les pétroliers, aides à la filière bio…
Le temps de la Transition écologique, une ou plurielle
Et puis vint la crise mondiale de 2008, la Chine devint une puissance non coopérative et menaçante, d’où viendrait en plus le coronavirus… L’agenda plein d’urgences et de rivalités concrètes signa l’échec du développement durable. Qui allait payer le prix de l’écologie ? Les pays émergents, tentés de déforester et pollueurs, ou les pays riches, donneurs de leçons mais ayant détruit bien avant ?
Or il faut plus que jamais mobiliser face à l’urgence du réchauffement (comme l’illustre la fonte des glaces des pôles ) et de la chute de la biodiversité (1/3 d’oiseaux en moins dans les campagnes françaises en 15 ans ! ).
Au détour des années 2010 on parla alors de Transition écologique. Terme habile. Il emploie un des mots du progrès :« transition », comme la transition démographique ou démocratique par exemple. Il s’agirait donc d’une loi, « un processus inéluctable, déjà engagé »[3] dans une vision téléologique de la modernité.
Mais il ne parle plus que d’écologie. L’économie et l’égalité sociale ne sont plus explicitement présentes.
Le monde serait obligatoirement écologiste, ou contre les « lois » de l’évolution il sombrerait.
Le courant décroissant est même dépassé par des personnes envisageant la destruction de l’humanité : les « collapsologues » (anglicisme).
Cependant, le Dictionnaire de la pensée écologique laisse planer un doute. Il n’y a en effet pas une définition de la Transition, mais deux. Et la seconde place le sens non plus sous le sceau de l’inéluctabilité, mais dans le sens d’un processus commun à toutes les sciences humaines, avec un avant, un décollage, une accélération et une stabilisation. Et s’agissant de phénomènes très vastes, « les transitions systémiques échappent au contrôle, au sens qu’on ne peut ni les provoquer, ni les arrêter, en revanche il doit être – il est en fait- possible de les orienter, de les canaliser. »[4] On voit l’importance de la nuance: plus de téléologie, juste un outil d’analyse. On retrouvera ce point dans les programme scolaires.
Les appellations du Ministère dédié aux questions environnementales: un révélateur de l’évolution sémantique
- 1971 : Ministère de l’Environnement
- 2007 : Ministère de l’Ecologie et du Développement durable
- 2017 : Ministère de la Transition écologique et solidaire
- 2020 : Ministère de la Transition écologique
Vers le « Vivant » ?
A tant voir les problèmes désormais bien documentés on en oublie parfois tout le chemin parcouru, les réussites engrangées, et le fait qu’aucune époque n’a déployé autant de moyens pour se mettre à l’écoute du non-humain. Avant, ce n’était pas mieux.
D’où l’intérêt de la pensée de Baptiste Morizot. Philosophe à l’université d’Aix-Marseille, pisteur, il développe le concept de « Vivant« . Le vivant, c’est l’homme qui dialogue avec la nature, à égalité, ni dominant ni dominé. Et cherche la voie d’une « diplomatie ». Ce qui vaut tant pour le partage de territoires avec des loups mieux connus et compris que pour des forêts en « libre évolution » mais où l’homme aurait la place… qu’il a toujours eue, comme habitant légitime de la planète.
Ce serait peut-être une manière de réduire le fossé sociologique entre des centre-villes votant écologiste (donc dans une niche avec de faibles réservoirs de voix) et des périphéries et campagnes majoritairement opposées, comme le montrent régulièrement les élections en France [5].
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la Courte bibliographie de l’enseignement de la Transition écologique.
[1]: D’où l’idée de développements durables, au pluriel, avec des équilibres différents selon les choix des peuples. Comme l’illustre l’ « Atlas des Développements durables, Un monde inégalitaire, des expériences novatrices, des outils pour l’avenir », Yvette Veyret, Paul Arnould, Cyrille Süss, Autrement, 2008
[2] : Sur ce sujet, on peut lire « Les limites planétaires », Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, La découverte, 2020. « Durant cette période, la disponibilité des ressources naturelles a occupé l’essentiel des débats. Et force est de constater que, sur ce sujet, les prévisions alarmistes de Thomas Malthus et de ses successeurs n’ont pas été vérifiées à l’échelle planétaire: l’humanité est parvenue jusqu’à présent à repousser le spectre de la pénurie générale, et ce malgré l’accroissement de la population mondiale et de son niveau de vie matériel. » Les auteurs s’appuient sur les travaux du Stockholm Resilience Centre, dont les chercheurs dans un article de la revue Nature ont défini 9 processus devant faire l’objet d’une vigilance extrême en raison de leur impact systémique.
[3]: Dictionnaire de la pensée écologique, Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.), PUF, 2015, article « Transition » (point de vue 1 par Alain Grandjean et Hélène Le Teno)
[4]: Dictionnaire de la pensée écologique (op.cit.), article Transition (point de vue 2 par Paul-Marie Boulanger)
[5] : La Fracture écologique, Erwan Ruty, revue Esprit, septembre 2020